Un joli bois de pins tout étincelant de lumière dégringole devant moi jusqu’au bas de la côte. A l’horizon, les Alpilles découpent leurs crêtes fines. Pas de bruit. A peine, de loin en loin, un son de fifre, un courlis dans les lavandes, un grelot de mules sur la route. Tout ce beau paysage provençal ne vit que pour la lumière. Alphonse Daudet
Profitant des belles journées du mois de septembre, je suis retourné quelques jours en balade en Provence et j’ai fait une halte à Fontvieille. Un village situé entre Les Baux de Provence et Arles dans la partie sud-ouest du Parc Naturel Régional des Alpilles. Un village où Alphonse Daudet aimait venir en vacances, accueilli dans le château de son cousin Louis Daudet. Cet endroit a été pour lui une véritable source d’inspiration, et tout le monde connait au moins une de ses œuvres !
En effet, qui ne connait pas ou n’a jamais lu, ne serait-ce au moins une fois (à l’école par exemple), Les Lettres de mon moulin ? 🙂
Depuis le village, un parcours « Sur les traces de Daudet » permet de découvrir les endroits qui ont tant inspiré l’auteur, et notamment le Moulin Daudet, le château Montauban,… et bien sur on apprécie aussi le paysage !
Alors c’est parti pour une petite balade photographique, inspirée de la nouvelle « Le secret de Maitre Cornille »
Imaginez-vous pour un moment, chers lecteurs, que vous êtes assis devant un pot de vin tout parfumé, et que c’est un vieux joueur de fifre qui vous parle.
Notre pays, mon bon monsieur, n’a pas toujours été un endroit mort et sans renom, comme il est aujourd’hui. Autre temps, il s’y faisait un grand commerce de meunerie, et, dix lieues à la ronde, les gens des mas nous apportaient leur blé à moudre. Tout autour du village, les collines étaient couvertes de moulins à vent. De droite et de gauche on ne voyait que des ailes qui viraient au mistral par-dessus les pins, des ribambelles de petits ânes chargés de sacs, montant et dévalant le long des chemins ; et toute la semaine c’était plaisir d’entendre sur la hauteur le bruit des fouets, le craquement de la toile et le Dia hue ! des aides-meuniers.
Le dimanche nous allions aux moulins, par bandes. Là -haut, les meuniers payaient le muscat. Les meunières étaient belles comme des reines, avec leurs fichus de dentelles et leurs croix d’or. Moi, j’apportais mon fifre, et jusqu’à la noire nuit on dansait des farandoles. Ces moulins-là , voyez-vous, faisaient la joie et la richesse de notre pays.
Malheureusement, des Français de Paris eurent l’idée d’établir une minoterie à vapeur, sur la route de Tarascon. Tout beau, tout nouveau ! Les gens prirent l’habitude d’envoyer leurs blés aux minotiers, et les pauvres moulins à vent restèrent sans ouvrage. Pendant quelque temps ils essayèrent de lutter, mais la vapeur fut la plus forte, et l’un après l’autre, pécaïre ! ils furent tous obligés de fermer. On ne vit plus venir les petits ânes. Les belles meunières vendirent leurs croix d’or. Plus de muscat ! plus de farandole ! Le mistral avait beau souffler, les ailes restaient immobiles. Puis, un beau jour, la commune fit jeter toutes ces masures à bas, et l’on sema à leur place de la vigne et des oliviers.
Pourtant, au milieu de la débâcle, un moulin avait tenu bon et continuait de virer courageusement sur sa butte, à la barbe des minotiers. C’était le moulin de maître Cornille, celui-là même où nous sommes en train de faire la veillée en ce moment.
Maître Cornille était un vieux meunier, vivant depuis soixante ans dans la farine et enragé pour son état. L’installation des minoteries l’avait rendu comme fou. Pendant huit jours, on le vit courir par le village, ameutant le monde autour de lui et criant de toutes ses forces qu’on voulait empoisonner la Provence avec la farine des minotiers.
« N’allez pas là -bas, disait-il ; ces brigands-là , pour faire le pain, se servent de la vapeur, qui est une invention du diable, tandis que moi je travaille avec le mistral et la tramontane, qui sont la respiration du bon Dieu » Et il trouvait comme cela une foule de belles paroles à la louange des moulins à vent, mais personne ne les écoutait.
Alors, de male rage, le vieux s’enferma dans son moulin et vécut tout seul comme une bête farouche. Il ne voulut pas même garder près de lui sa petite-fille Vivette, une enfant de quinze ans, qui, depuis la mort de ses parents, n’avait plus que son grand au monde. La pauvre petite fut obligée de gagner sa vie et de se louer un peu partout dans les mas, pour la moisson, les magnans ou les olivades. Et pourtant son grand-père avait l’air de bien l’aimer, cette enfant-là . Il lui arrivait souvent de faire ses quatre lieues à pied par le grand soleil pour aller la voir au mas o๠elle travaillait, et quand il était près d’elle, il passait des heures entières à la regarder en pleurant
Dans la vie de maître Cornille il y avait quelque chose qui n’était pas clair. Depuis longtemps personne, au village, ne lui portait plus de blé, et pourtant les ailes de son moulin allaient toujours leur train comme devant… Le soir, on rencontrait par les chemins le vieux meunier poussant devant lui son âne chargé de gros sacs de farine.
– Bonnes vêpres, maître Cornille ! lui criaient les paysans ; ça va donc toujours, la meunerie.
– Toujours, mes enfants, répondait le vieux d’un air gaillard. Dieu merci, ce n’est pas l’ouvrage qui nous manque.
Alors, si on lui demandait d’où diable pouvait venir tant d’ouvrage, il se mettait un doigt sur les lèvres et répondait gravement : « Motus ! je travaille pour l’exportation » Jamais on n’en put tirer davantage.
Quant à mettre le nez dans son moulin, il n’y fallait pas songer. La petite Vivette elle-même n’y entrait pas.
Lorsqu’on passait devant, on voyait la porte toujours fermée, les grosses ailes toujours en mouvement, le vieil âne broutant le gazon de la plate-forme, et un grand chat maigre qui prenait le soleil sur le rebord de la fenêtre et vous regardait d’un air méchant.
Tout cela sentait le mystère et faisait beaucoup jaser le monde. Chacun expliquait à sa façon le secret de maître Cornille, mais le bruit général était qu’il y avait dans ce moulin-là encore plus de sacs d’écus que de sacs de farine.
A la longue pourtant tout se découvrit ; voici comment :En faisant danser la jeunesse avec mon fifre, je m’aperçus un beau jour que l’aîné de mes garçons et la petite Vivette s’étaient rendus amoureux l’un de l’autre. Au fond je n’en fus pas fâché, parce qu’après tout le nom de Cornille était en honneur chez nous, et puis ce joli petit passereau de Vivette m’aurait fait plaisir à voir trotter dans ma maison. Seulement, comme nos amoureux avaient souvent occasion d’être ensemble, je voulus, de peur d’accidents, régler l’affaire tout de suite, et je montai jusqu’au moulin pour en toucher deux mots au grand-père. Ah ! le vieux sorcier ! il faut voir de quelle manière il me reçut ! Impossible de lui faire ouvrir sa porte. Je lui expliquai mes raisons tant bien que mal, à travers le trou de la serrure ; et tout le temps que je parlais, il y avait ce coquin de chat maigre qui soufflait comme un diable au-dessus de ma tête.
Le vieux ne me donna pas le temps de finir, et me cria fort malhonnêtement de retourner à ma flûte ; que, si j’étais pressé de marier mon garçon, je pouvais bien aller chercher des filles à la minoterie. Pensez que le sang me montait d’entendre ces mauvaises paroles ; mais j’eus tout de même assez de sagesse pour me contenir, et, laissant ce vieux fou à sa meule, je revins annoncer aux enfants ma déconvenue. Ces pauvres agneaux ne pouvaient pas y croire ; ils me demandèrent comme une grâce de monter tous deux ensemble au moulin, pour parler au grand-père. Je n’eus pas le courage de refuser, et prrrt ! voilà mes amoureux partis.
Tout juste comme ils arrivaient là -haut, maître Cornille venait de sortir. La porte était fermée à double tour ; mais le vieux bonhomme, en partant, avait laissé son échelle dehors, et tout de suite l’idée vint aux enfants d’entrer par la fenêtre, voir un peu ce qu’il y avait dans ce fameux moulin
Chose singulière ! la chambre de la meule était vide. Pas un sac, pas un grain de blé ; pas la moindre farine aux murs ni sur les toiles d’araignée. On ne sentait pas même cette bonne odeur chaude de froment écrasé qui embaume dans les moulins. L’arbre de couche était couvert de poussière, et le grand chat maigre dormait dessus.
La pièce du bas avait le même air de misère et d’abandon : un mauvais lit, quelques guenilles, un morceau de pain sur une marche d’escalier, et puis dans un coin trois ou quatre sacs crevés d’où coulaient des gravats et de la terre blanche.
C’était là le secret de maître Cornille ! C’était ce plâtras qu’il promenait le soir par les routes, pour sauver l’honneur du moulin et faire croire qu’on y faisait de la farine. Pauvre moulin ! Pauvre Cornille ! Depuis longtemps les minotiers leur avaient enlevé leur dernière pratique. Les ailes viraient toujours, mais la meule tournait à vide.
Les enfants revinrent tout en larmes, me conter ce qu’ils avaient vu. J’eus le cœur crevé de les entendre. Sans perdre une minute, je courus chez les voisins, je leur dis la chose en deux mots, et nous convînmes qu’il fallait, sur l’heure, porter au moulin Cornille tout ce qu’il y avait de froment dans les maisons. Sitôt dit, sitôt fait. Tout le village se met en route, et nous arrivons là -haut avec une procession d’ânes chargés de blé, du vrai blé, celui-là !
Le moulin était grand ouvert. Devant la porte, maître Cornille, assis sur un sac de plâtre, pleurait, la tête dans ses mains. Il venait de s’apercevoir, en rentrant, que pendant son absence on avait pénétré chez lui et surpris son triste secret.
– Pauvre de moi ! disait-il. Maintenant, je n’ai plus qu’à mourir. Le moulin est déshonoré.
Et il sanglotait à fendre l’âme, appelant son moulin par toutes sortes de noms, lui parlant comme à une personne véritable.
A ce moment, les ânes arrivent sur la plate-forme, et nous nous mettons tous à crier bien fort comme au beau temps des meuniers :
– Ohé ! du moulin ! Ohé ! maître Cornille !
Et voilà les sacs qui s’entassent devant la porte et le beau grain roux qui se répand par terre, de tous côtés.
Maître Cornille ouvrait de grands yeux. Il avait pris du blé dans le creux de sa vieille main et il disait, riant et pleurant à la fois :
– C’est du blé ! Seigneur Dieu ! Du bon blé ! Laissez-moi, que je le regarde.
Puis, se tournant vers nous :
– Ah ! je savais bien que vous me reviendriez. Tous ces minotiers sont des voleurs.
Nous voulions l’emporter en triomphe au village :
– Non, non, mes enfants ; il faut avant tout que j’aille donner à manger à mon moulin. Pensez donc ! il y a si longtemps qu’il ne s’est rien mis sous la dent !
Et nous avions tous des larmes dans les yeux de voir le pauvre vieux se démener de droite et de gauche, éventrant les sacs, surveillant la meule, tandis que le grain s’écrasait et que la fine poussière de froment s’envolait au plafond.C’est une justice à nous rendre : à partir de ce jour-là , jamais nous ne laissâmes le vieux meunier manquer d’ouvrage. Puis, un matin, maître Cornille mourut, et les ailes de notre dernier moulin cessèrent de virer, pour toujours cette fois. Cornille mort, personne ne prit sa suite. Que voulez-vous, monsieur ! tout a une fin en ce monde, et il faut croire que le temps des moulins à vent était passé comme celui des coches sur le Rhône, des parlements et des jaquettes à grandes fleurs.
Voilà pour la petite balade contée 🙂
Après avoir fait le tour des moulins que l’on peut découvrir sur le chemin, on redescend en direction du village. Mais avant, on découvre aussi le fameux château Montauban. Ici même ou Alphonse Daudet venait passer ses vacances.
Et oui car contrairement à ce que l’on pourrait croire, jamais Alphonse Daudet n’a habiter le moulin et ni même il n’en a d’ailleurs été le propriétaire. Ce moulin Daudet comme on aime l’appelé a été construit en 1814. Il s’appelle en fait moulin Saint-Pierre ou encore moulin Ribet. Il a été l’un des derniers à s’arrêter de tourner, en 1915.
Pour en revenir au château, celui-ci est en réalité un mas datant de la fin du 18ème siècle avec une façade monumentale. Une façade qui contraste donc avec l’arrière de l’habitation construite dans un style plus classique. Il est entouré d’un immense parc avec quelques bancs en pierres, là ou sa femme Julia aimait venir s’asseoir. On y trouve aussi le célèbre cabanon Le Mazet des Coudières qui a été sauvé et reconstruit ici à coté du château. Là ou Alphonse a connu le berger Jean Seguin et le berger Peyre, que l’on surnommait « le tueur de loup ». Des noms qui vous disent peut-être quelque chose, non ? 😉
Si jamais tu viens en Provence, nos ménagers te parleront souvent de la cabro de moussu Seguin, que se battégue touto la neui emé lou loup, e piei lou matin lou loup la mangé.
Le château abrite aujourd’hui le musée Daudet et rend hommage aussi à d’autres artistes comme Léo Lelée (peintre des Arlésiennes) mais aussi à l’artisanat et aux coutumes régionales comme les santons, la course camarguaise, les costumes… Pas de chance pour moi, le château est fermé les dimanches !
C’est ici qu’Alphonse aura une très forte amitié avec Timoléon Ambroy qui lui fera même hérité d’une partie du château. Malheureusement, Alphonse mourra avant d’avoir pu y revenir.
Voilà , si vous aussi vous voulez un jour suivre les traces de Daudet, alors rendez-vous à Fontvieille.
Peut-être y rencontrerez vous Maitre Cornille ou encore la chèvre de Monsieur Seguin ou bien d’autres personnalités qui ont inspirés l’auteur 🙂
C’est ici :
4 Comments
J’adore ces moulins aux ailes déployées
Oui ils font partie du paysage mais il y en a qui ne sont pas si bien entretenus et laissés à l’abandon.
Que c’est beau!
Ca donne envie de relire Daudet!
Bizarrement, meme si je bosse aux Pays bas je vois peu de moulins!
Il faut aller plus au nord.
Merci pour ce joli billet 🙂
Ah oui c’est vrai qu’il y en a aussi au Pays-Bas des moulins, mais je ne connais pas.
Je confirme, j’ai ressorti Les lettres de mon Moulin pour l’occasion 😉
Et c’est d’ailleurs plus intéressant à lire aujourd’hui, que les souvenirs que j’en ai de l’école !